Les Interviews

Votre panier

Les défis de l'été : Pierre Rousselot – La Traversée des Vosges


Vous êtes certainement nombreux à avoir emprunté ces fameux GR qui traversent les Vosges du Nord au Sud ou Sud au Nord ? Mais les avez-vous déjà empruntés d’une traite ? De Giromagny dans le Territoire de Belfort à Obersteinbach, dans les Vosges du Nord à quelques pas de la frontière allemande ? C’est le défi que s’est lancé Pierre Rousselot fin août !

Photo : DR
Bonjour Pierre, peux-tu te présenter ?

Né à Narbonne en 1982, j’ai été parachuté en Alsace en 2004 pour finaliser mes études et décrocher un Master en Réseaux et applications informatique. J’ai eu la chance d’intégrer en qualité de chef de projets, une grande entreprise locale très présente dans la vie économique et sociale de la région : Electricité de Strasbourg. Tombé très vite amoureux de l’Alsace, je me suis adapté à la vie locale : 16 ans déjà. Dans la « foulée », j’ai rencontré une belle alsacienne volleyeuse avec qui j’ai eu 2 beaux enfants dont nous sommes fiers, une maison, un chien, un caméléon et quelques poissons dans un joli petit village alsacien : le cliché de la famille parfaite :)

Réservé, dynamique et sportif, j’ai toujours été attiré par la course à pied et la nature mais c’est seulement en 2012, embarqué par des copains que je participais à mon 1er trail accompagné de ma conjointe : une découverte folle sur les mini-crêtes. Mémorable souvenir, une sensation incroyable de liberté : je me suis senti vivant, comme un animal qu’on venait de sortir de cage.

Pourtant, les conditions étaient extrêmes, tous les critères étaient réunis pour en faire ma 1ere et dernière expérience : sans préparation physique, avec du matériel inadapté pour la montagne et dans des conditions météorologiques catastrophiques : un froid glacial, une pluie givrante et brouillard. Et depuis ce jour, je remercie encore ceux qui m’ont embarqué dans cette aventure, j’ai ce besoin inconditionnel de m’évader un peu, beaucoup, passionnément…

Je suis plutôt solitaire dans mes activités mais j’ai toujours plaisir à croiser, discuter et rencontrer des gens sur les courses : c’est un monde qui me plait, les gens sont généreux, passionnés, amoureux de la nature et respectueux. Je suis très exigeant avec moi-même, je me lance souvent des challenges et je cherche toujours à repousser mes limites, c’est un besoin que j’ai pour me sentir vivant : j’ai toujours vécu dans l’excès de tout et c’est parfois une source de conflit avec mon entourage proche. Mon palmarès de courses est respectable en nombre de participations : je ne me donne pas les moyens de faire mieux et je me contente de me faire plaisir. Le trail ne doit pas être vécu comme une contrainte et si la performance est au rendez-vous c’est encore mieux : je suis un bon vivant.
Quelle a été la motivation première pour te lancer dans ce défi ? Et Pourquoi celui-là précisément ?

Durant le confinement, c’était difficile de devoir se contenter de sorties courtes et seul dans les champs du Kochersberg, j’étais frustré, en manque et même angoissé : mes petits défis ne me suffisaient plus. Nous avons organisé des séances de PPG avec ma compagne 3x/semaine en visio : c’était ludique et compensait les sorties courtes dans les champs. Le déconfinement n’a pas levé cette frustration car j’étais accablé par les annulations successives des courses officielles, parfois au dernier moment. Mon planning de courses 2020 était exceptionnellement ambitieux et tout a été chamboulé et l’est encore aujourd’hui.

En 2018, JL Trail, un copain que beaucoup d’entre nous connaissent avait planifié de traverser les Vosges pour lui, pour son fils et je m’étais associé à son programme au feeling et sans objectif réel : son projet me plaisait et son état d’esprit était compatible. Ce projet n’a malheureusement pu aboutir et je m’étais promis de le vivre un jour : c’était donc l’occasion pour se lancer.

C’était parti pour la Traversée des Vosges avec ses 260kms et 10 800d+ en totale autonomie de jour et avec nuitée + restauration le soir à l’hôtel depuis Giromagny jusqu’à Obersteinbach en suivant la majorité du temps le GR (53, 5F, 531 et 532) en 42h de course et 72h de temps écoulé (3 jours).








Photo : DR
Comment as-tu vécu ce défi ?

L’organisation a été stressante positivement : c’était très compliqué de mettre en place cette logistique mais quoi de plus satisfaisant que de se préparer à une épreuve sportive qui ne dépend que de soi pour atteindre son but.

J’avais hâte de préparer le tracé, fixer mes objectifs journaliers en estimant l’allure moyenne fonction de la météo, de la fatigue physique croissante, du dénivelé positif et de mes capacités tenant compte de mon expérience passée sur les Trails et Ultra Trails.

C’est autant de paramètres à considérer, marqué par l’absence de confort lors des courses organisées qui rendent ce challenge si exceptionnel : l’aventure parfaite, mélange entre Indiana Jones et Robinson Crusoé 😊
  • Pas d’organisateur pour t’orienter, te ravitailler, te renseigner ;
  • Pas d’autres coureurs que soi pour discuter, partager et passer le temps ;
  • Pas de marquage à la cire au sol, pas de banderoles, fanions et balise de l’évènement ;
  • Un kilométrage estimatif à partir d’un tracé à main levé.
Il aura fallu une préparation précise, une validation des dates en fonction du contexte professionnel et personnel, anticiper une météo pour le moins indécise pour ne pas se faire surprendre car il n’y a rien de pire mentalement que d’être face à des impondérables.

Quand on part seul pour une si longue distance, il faut penser à tout. Et quand le matériel est prêt, la roadmap fixée, la météo connue, on se sent beaucoup plus serein.

A quelques jours du départ, c’était un sentiment d’impatience et d’excitation.

Mes jambes tremblaient de peur et d’envie de la même manière que lorsque je participe à des courses.

Chaque journée complète contenait pas moins de 90kms pour 3000-3500d+ et les demi-journées restantes approximativement 55kms pour 2500d+ alors j’essayais de respecter mes horaires de départ et d’arrivée pour rejoindre les hôtels réservés par avance pas trop tard dans la nuit. Ainsi, je pouvais profiter d’une bonne douche, d’un automassage des pieds, de quelques pintes de bières en pression, d’un bon repas chaud et d’une nuit dans un bon lit. Chaque soir après les repas, je visualisais le parcours du lendemain : jour après jour, pas après pas mais avec un regard au loin.

Mes amis ont été prévenus 1 semaine avant mon départ, lorsque tous les petits détails ont été plus ou moins finalisés. Ceux qui le désiraient, pouvaient me rejoindre sur un bout de chemin avec pour seule consigne « Avancer à mes côtés avec un état d’esprit positif ».

Durant cette épreuve personnelle, c’est l’esprit libre en union avec la nature que j’ai parcouru les sentiers et c’est en activant le Livetrack que je rassurais mon entourage, leur permettant de consulter mon avancement.

Je remercie Alice, Mika et Marianne qui ont pu me rejoindre sur cette épreuve, je remercie tous ceux qui m’ont suivi à distance et je remercie ma femme et mes enfants qui m’ont toujours épaulé me permettant de garder le cap que je m’étais fixé.

Alice m’a évité le stress du départ en m’emmenant jusqu’à Giromagny et me donner les premiers encouragements.

Mika m’a accompagné du Donon à Gensbourg m’évitant ainsi le mur à mi-parcours : nous avons ensemble vaincu la difficulté d’un temps capricieux.

Marianne m’a fait la surprise de croiser mon chemin au niveau du Schneeberg et son énergie positive m’a donné la force de continuer. C’est d’ailleurs ensemble que nous avons terminé la centaine de kilomètres restants jusqu’à l’arrivée à Obersteinbach « merci à toi ».

Au final, j’ai dû revoir très légèrement ma feuille de route, le projet fut une réussite en 45h de course avec 276kms et 73h30 écoulé : une belle fierté personnelle.

Je ne cache pas que c’était plutôt difficile d’enchainer les kilomètres en si peu de temps et aussi peu de repos : ce sont mes pieds qui ont souffert le plus.


Sur un défi si long on entre forcément en introspection ? Peux-tu me donner pour chacun des 5 sens (goût, odorat, ouïe, vue et toucher) ce que tu grades en mémoire et te rappel à ton aventure ?

J’ai rencontré quelques difficultés professionnelles qui ont très vite basculées sur des difficultés personnelles. Ma femme, mes enfants et le sport m’ont beaucoup aidé dans cette épreuve même si j’ai encore parfois des angoisses.

J’approche la quarantaine et forcément quelques doutes s’installent sur mes choix de vie, mes décisions prises et mes actions passées : mon besoin de liberté est à la fois extérieur et intérieur pour trouver la quiétude.

Au fond de moi-même, ça peut surprendre les gens, je cherchais à me faire plaisir mentalement tout en me faisant souffrir physiquement et grâce au contexte COVID, j’ai su que c’était le bon moment.

J’avais besoin de temps, beaucoup de temps, seul avec ma conscience dans un endroit qui me procure du plaisir : c’est la raison principale pour laquelle inconsciemment je n’ai très peu communiqué sur ce projet en amont.

Apprendre à se connaitre et savoir ce que l’on veut vraiment pour construire son avenir est très complexe et ce n’est malheureusement pas aussi rapide : c’est en bonne voie.

Ce que je garde en mémoire pour chacun des sens et qui rappelle mon aventure ?

  • Goût : Le baeckeofe accompagné d’une double pinte de Méteor, le vacherin à la framboise et un munster à l’auberge des Hautes Chaumes dans le lieu-dit « les Mortes » de la commune de la Bresse. J’entends encore le commentaire d’un touriste passant : « vous deviez avoir très soif ».
  • Odorat : l’humidité de l’air, de la mousse et des feuilles mais aussi les bouses de vaches et les crottins de chamois surtout dans les Vosges du Sud ou la nature est la plus sauvage..
  • Ouïe : le sifflement des chamois que j’ai eu la chance de croiser et même de filmer en troupeau non loin du Tanet, le chant des oiseaux et particulièrement le bruit des feuilles des arbres percutées par le vent.
  • Vue : La montagne est belle et j’ai aimé cette diversité de paysages qui changent radicalement entre le Sud avec ses lacs, ses auberges, son vent, son terrain souple et humide propice aux feuillus, ses animaux sauvages et le Nord avec ses châteaux, ses courts d’eau, son terrain plus sec, sableux, épineux propice aux pins..
  • Toucher : les poteaux des remontées mécaniques de la station de ski du Ballon d'Alsace, les arbres me servant d’appuis sous mes pieds et dans mes mains dans les descentes folles involontaires pour retomber sur mon chemin vers la porte de Pierre ou plus tard depuis le grand Wintersberg et enfin ressentir le froid de l’eau sur mes pieds dans le lavoir d’Obersteinbach pour la consécration finale.



Photo : DR

Quelle a été la clé du succès de ton défi ?

Je pense qu’il n’existe pas qu’une seule clef. L’expérience passée sur longue distance en montagne et l’organisation pointilleuse jouent sur la confiance, la confiance influe sur le mental : avoir un mental d’acier est une des clefs. Une préparation physique intense est indispensable et ce serait une erreur de croire que le mental ferait tout. Garder du plaisir, rester en communion avec soi et la nature est primordial pour donner du sens à son défi.

Photo : DR
Si c’était à refaire que changerais-tu ?

J’ai eu très peu de temps d’organisation et malgré tout je suis globalement satisfait de ce que j’ai réalisé.

Il y a malgré tout une chose à laquelle je n’avais pas pensé ou trop tardivement qui influe sur le mental et le physique : tenir compte des fausses routes, des routes barrées et des auberges fermées pour cause de COVID.

En effet, la montre est un atout, les cartes IGN et le téléphone sont des outils confortables mais il est très difficile de regarder ses pieds et le tracé en même temps : l’erreur est humaine et j’aurai dû prévoir ces temps de retard ou mieux marquer les changements de direction/balises.

J’ai quand même dépassé d’approximativement 20kms la distance totale estimée :-)

Tous les petits plaisirs sont bons pour le moral. Je prévoyais sur ma feuille de route des arrêts dans des auberges pour généralement prendre quelques bières et bretzels durant la pause déjeuner, j’ai été particulièrement affecté mentalement lorsque j’ai vu tout le village d’Obersteigen fermé pour COVID : ce n’est pas tant la bière, quoi que...


Photo : DR
Quels conseils donnerais-tu à qui souhaite se lancer dans un défi identique ?

Il faut apprendre à se connaitre suffisamment avant de se lancer dans un défi quel qu’il soit. Il ne faut pas sous-estimer les dangers de la montagne et bien garder à l’esprit qu’un parcours n’est jamais le même selon la météo des jours passés et la saison : le terrain est différent et le corps ne réagit pas de la même façon.

Il faut également adapter son matériel et ne pas hésiter à emporter plus que nécessaire afin de couvrir tous les imprévus. Quand on est seul, on ne peut compter que sur soi-même, il n’y a pas de place à un excès de confiance : se mettre en danger n’a aucun sens !

Il ne faut pas avoir peur de l’échec : renoncer plutôt que s’obstiner peut s’avérer nécessaire et constitue une force.

Un conseil que je n’ai pas appliqué : il serait plus prudent d’avoir une personne qui accompagne pour assister, un accident peut très vite arriver et compliquer les secours.

Une dernière chose, pensez plaisir plutôt que performance en profitant des paysages et surtout vérifiez votre matériel avant de partir : ma poche à eau était percée dès le départ et j’ai dû tourner à 2 flasques de 500ml chacune (stress supplémentaire inutile) mais heureusement je suis un chameau et me contente de peu.

Quelle sera ton prochain défi ou ta prochaine aventure ?

Depuis que je suis revenu de ce périple fin Aout, j’ai déjà pu participer à quelques courses officielles courtes et longues en montagne mais également des sorties « off » entre copains : ça fait du bien de croiser les figures du trail.

Cependant, force est de constater que les difficultés à maintenir les courses sont toujours présentes : cette fin d’année se profile dans la morosité.

Ce défi m’a marqué et restera pour longtemps ma plus belle balade mais dans ce contexte COVID je suis dans l’obligation (ah ah) de programmer la suite et c’est sans déplaire à certains.

La traversée du Jura pour le printemps 2021 (300-350kms) sera mon prochain défi et j’ai déjà trouvé les fous qui m’accompagneront : certains sont au courant d’autres le seront prochainement 😉

Photo : DR


Interview réalisée par Nicolas Fried.

© 2007 - 2024 | L'Alsace en courant | Toute reproduction interdite sans l'accord des auteurs | Mentions légales | Développé par Nicolas Fried.