Interview de Clément Gass, un coureur exceptionnel
Le 6 septembre dernier, lors de la 5ème édition du Trail du Haut-Koenigsbourg, la sensation du jour aura été la participation de Clément Gass, déficient visuel, ovationné lors de la remise des prix,
qui avec son gps et une canne aura parcouru seul (à l'exception du passage dans le chateau) les 25km du trail court.
Après le Trail du Kochersberg, c'est sa première participation à un trail de Montagne, et parti dernier pour ne pas être gêné, il aura remonté près de 200 concurrents pour
se classer 663ème sur les 839 participants. Un exploit ! Une semaine plus tard le voilà sur le marathon de Colmar, accompagné cette fois de son guide Christian Hommaire.
L'Alsace en courant a voulu en appendre un peu plus sur ce coureur exceptionnel, qui dans sa pratique, peut être un guide, exemple à suivre, un espoir pour beaucoup... Rencontre !
>> Revoir le Reportage au 20H de TF1 - Clément Gass, non-voyant, court un trail en toute autonomie |
Peux-tu présenter le concept qui te permet de courir en autonomie ?[ Clément ] Pour courir en autonomie, il faut avant tout de bons réflexes et une bonne technique de canne pour appréhender l'environnement à portée immédiate. Pour me diriger et me repérer à une échelle plus vaste, j'utilise l'application Navi Rando, développée pour Android et iOS par l'Université de Strasbourg. Cette application tire parti du GPS, mais aussi des autres capteurs dont sont équipés les smartphones de bonne qualité (boussole, gyroscope, accéléromètre). En effet, le GPS seul n'est efficace qu'avec une bonne vision des environs, les indications étant données relativement au chemin et à la position de l'utilisateur, et pertinentes uniquement lorsque ce dernier est en mouvement. Mais charge à lui d'orienter son corps dans la bonne direction pour suivre le chemin : s'il se trouve de biais et avance vers la rivière voisine plutôt que le long du chemin, le GPS lui annonce tout de même qu'il doit aller tout droit. Les autres capteurs permettent de relativiser l'information à l'axe corporel de l'utilisateur, de sorte à pouvoir se diriger même sans vision du chemin. Si je suis face à la rivière, Navi rando m'indique donc de faire un quart de tour. |
Peux-tu revenir sur ce projet mené par un doctorant, qui est venu à Strasbourg, et qui grâce à toi a pu relancer son projet ?[ Clément ] L'idée de cette méthode de guidage est née de la collaboration entre René Farcy, chercheur à Paris-Orsay, et de Gérard Muller, randonneur alsacien non-voyant. Jesus Zegarra a commencé le développement de l'application dans le cadre de sa thèse. Il est venu à Strasbourg après l'obtention de son doctorat, et poursuit le développement grâce à la fondation universitaire. Celle-ci doit sans cesse rechercher des partenaires financiers pour que le projet se poursuive. L'application était d'abord consacrée à la randonnée et aux déplacements urbains. C'est de ma rencontre avec Jesus au printemps dernier qu'est venue l'idée de l'adapter à la course à pied. Cela nécessite plus de réactivité, et de gérer différemment les informations fournies par les capteurs, car l'appareil est davantage secoué, ce qui complique la détermination d'un référentiel pour estimer l'orientation corporelle. Avec les trails dans les montagnes boisées des Vosges se pose aussi le problème de la réception du signal GPS. Nous réalisons de nombreux tests et l'application est en constante évolution. La course à pied n'est qu'une des nombreuses facettes du projet. Je suis aussi testeur exigeant du volet urbain de l'application, qui me sert au quotidien. L'application est aussi en train d'être adaptée à la navigation à l'intérieur des bâtiments, en l'absence de signal GPS : cela fonctionne déjà sur le campus de Strasbourg. Nous sommes plusieurs testeurs à confronter les recherches théoriques à la pratique, ce qui permet d'aboutir à un outil vraiment utile. La dimension humaine du projet est au moins aussi importante que la dimension technique : plusieurs associations participent au projet pour accompagner des personnes déficientes visuelles vers l'autonomie. Le handicap est trop souvent synonyme d'exclusion, de confinement chez soi ou de surprotection, et l'apprentissage d'un bon outil de guidage peut y remédier en donnant la confiance qui manquait pour s'aventurer dans des univers qui semblaient inaccessibles. |